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Les Mots

Texte rédigé par Homayra Sellier(HS) et Serge Garde (SG)


En cours de rédaction

Pour lutter efficacement contre la pédocriminalité, il est indispensable de l’étudier, de la définir avec des mots sans ambiguïté. « C’est des années plus tard, quand j’ai lu la définition du mot viol, que j’ai pu pour la première fois me saisir du mot et me dire : ‘En fait, c’est normal que tu aies eu mal. Quelqu’un t’a fait ce mot-là. Toute cette souffrance elle a un sens parce qu’on t’a fait ce mot-là.’ Ce mot m’a sauvée, j’avais vraiment besoin de mettre les bons mots aux bons endroits. Ça a été très important dans ma reconstruction. » La comédienne Adélaïde Bon avait été victime à 9 ans d’un violeur en série. Elle insiste dans un livre autobiographique sur l’importance des mots. Pédophile ou pédocriminel ? 

Rebaptiser « plan social » un plan de licenciements n’est pas anodin. L’usage des mots ne l’est jamais. Nous avons longtemps utilisé, comme tout le monde, le mot « pédophile » sans y réfléchir. Qualifier un violeur d’enfant de « pédophile », c’est instiller l’idée, « à l’insu de notre plein gré », qu’ils avaient vécu une histoire d’amour. Étymologiquement, un pédophile, c’est quelqu’un qui aime les enfants. Quand on travaille dans le réel, on découvre qu’il n’y a jamais d’amour réciproque, à égalité, dans ces dossiers. On y trouve de l’abus de pouvoir, de la possession, de la lâcheté, mais de l’amour, point ! Après cette prise de conscience, nous avons choisi de parler de pédocriminel lorsqu’il y a eu viol ; et de pédosexuel pour désigner quelqu’un qui fantasme sur les mineurs, sans passer à l’acte. C’est plus clair. Passer à l’acte… Un viol peut-il être réduit à un acte, ne serait-ce que pour éviter une répétition dans un texte ? Nous le faisons, mais chaque mot « soft » est utilisé dans le contexte du livre. Aucune ambiguïté, dans notre prose. 

Dans notre livre, nous avons accueilli la parole de nombreuses personnes qui utilisent des mots que nous contestons. Abus sexuel par exemple : ne dit-on pas que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé ? Un verre, ça va ! Deux verres, bonjour les dégâts ? Faut-il admettre la comparaison et dire : un enfant, ça va ? Mais lorsque des personnes nous ont confié leur témoignage, nous nous devions de respecter leurs mots, même s’ils ne nous convenaient pas. Mais nous devons le constater, le français s’est doté d’une importante palette de mots pour éviter de nommer le crime. Pour l’effacer ou gommer sa cruauté. Pour qualifier un crime sexuel, dans des articles de presse ou des textes judiciaires, on peut trouver pêle-mêle les « faits » souvent qualifiés de « regrettables » ou d’« inappropriés » ; le « dossier », le « cas », les « gestes », le « comportement », l’attitude… La situation, l’accident, l’incident, la mésaventure, le litige, voire l’expérience… Un contentieux, un litige, un conflit… Quelques perles extraites d’attendus d’un jugement. Un viol devient le « rapprochement entre deux personnes ». Plus fréquemment : « Une relation sexuelle », une « caresse », un « effleurement », un « baiser », « prendre dans ses bras », « peloter », « masser », « frôler »… Autrement dit, par la magie sémantique, le viol devient une « interaction sexuelle avec un adulte ». Et la victime et le violeur, les protagonistes d’une relation sexuelle. Dans cette lignée, les viols commis par un médecin ou un militaire ne deviennent que des « entorses à la déontologie », ou des « fautes professionnelles ». 

Ouvrons une parenthèse. Nous ne pensons pas que la magistrature concentre plus de délinquants sexuels que les autres professions. Il arrive, de temps à autre, qu’un juge se fasse prendre. En général, les tribunaux se montrent plutôt compréhensifs avec leurs collègues qui ont failli : mutations disciplinaires, mises à la retraite (avec le versement de la pension ad hoc), prison avec sursis, etc. 


En 2006, Michel Joubrel, un haut magistrat, était jugé pour détention de matériel pédopornographique (plus de 5 000  photos ou vidéos). Il avait été interpellé par les gendarmes dans le cadre d’un coup de filet parmi les utilisateurs d’un site Internet. Après avoir nié les faits et menti en prétendant qu’il n’avait rien téléchargé lui-même, il avait dû reconnaître les faits. Il encourrait 5 années de prison. Il a été condamné à 8 mois de prison avec sursis. Soit ! 

Mais comment l’Institution peut-elle faire l’impasse sur ce fait nouveau ? Ne devrait-elle pas réétudier tous les dossiers de violences sexuelles que des magistrats, condamnés comme Michel Joubrel, ont eu à connaître ? Revenons à la sémantique. Marilyn Baldeck (Déléguée générale de l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT)). à qui nous avons beaucoup emprunté dans ce texte, le déplore : « Force est de constater, dit-elle, que dans son incessant travail de création de mots, notre langage n’a inventé aucun mot nouveau pour désigner efficacement les violences, c’est-à-dire des mots qui à la fois décriraient précisément la réalité matérielle de la violence en question tout en étant porteurs d’une charge négative. D’où, aussi, l’immense difficulté pour les victimes à parler des violences sexuelles, car elles sont pour cela obligées de puiser dans du vocabulaire courant, inadapté, et issu de celui qu’elles auraient aussi utilisé pour décrire des relations sexuelles heureuses. Là commence donc le brouillage et la confusion. Il est extrêmement rare qu’en matière de violences sexuelles, nous appelions ‘un chat un chat’. »

La conclusion de Marilyn Baldeck est percutante. Le langage habituel participe d’une falsification de la réalité des violences et à une inversion des normes : « ‘Les violences sexuelles, c’est pas si violent que ça’, ce qui n’est pas sans rappeler l’inversion des valeurs prophétisées par George Orwell dans son 1984 dans lequel une police de la pensée scandait que ‘la guerre c’est la paix, l’esclavage c’est la liberté, l’ignorance c’est la force’, laquelle en 2009 a fort bien été maîtrisée par les supporters de Roman Polanski et d’un système dans lequel il est possible d’impunément violer une jeune fille, par exemple. […] Dans une continuité entre la stratégie mise en place par l’agresseur pour agresser et le discours mis en place autour de l’agression : celui qui maîtrise l’agression est aussi le maître du discours. » 

Et Marilyn Baldeck, de citer Lewis Caroll et le dialogue entre Humpty Dumpty (HD) et Alice :

  •  HD : « Quand j’emploie un mot, il signifie ce que je veux qu’il signifie, ni plus, ni moins. »
  •  Alice : « La question est de savoir si vous pouvez faire que les mêmes mots signifient tant de choses différentes. »
  •  HD : « La question est de savoir qui est le maître, c’est tout. » 

De nombreux magistrats auraient intérêt à relire De l’Autre côté du Miroir avant d’oser évoquer des « viols sans violence ».

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